Depuis plusieurs années, la scène française de Counter-Strike traverse une mauvaise passe. La génération dorée de CS:GO, vainqueur de 2 majors, composée de kennyS, shox, NBK, apEX, SmithZz, ScreaM, RpK, Happy et les autres, s’efface petit à petit, laissant derrière elle des souvenirs de gloire mais peu de relais. Le vivier de talents s’est tari, et de moins en moins de joueurs tricolores évoluent aujourd’hui au plus haut niveau.
Dans ce contexte morose, Vitality a tenu le rôle de bouée de sauvetage. En devenant la seule grande organisation française à investir massivement sur CS, elle a maintenu le pays sur la carte mondiale grâce à ses succès et au génie d’un joueur unique, le meilleur joueur du monde, ZywOo. Mais derrière Vitality, le désert ou presque.
Pourquoi la France a toujours ignoré CS
L’écosystème esport et influence français a toujours regardé ailleurs. League of Legends, VALORANT, Rocket League : voilà les disciplines qui captent l’attention et les créateurs de contenu. Counter-Strike, malgré son statut de jeu compétitif numéro 1 dans le monde et sans doute le plus spectaculaire à regarder, n’a jamais su bâtir une culture forte en France. La plupart des influenceurs se sont tournés vers Riot Games et son univers. Résultat : même avec une génération dorée au début de CS:GO et aujourd’hui ZywOo, CS reste marginal dans l’imaginaire collectif français.
Mais les grandes organisations le savent : CS est incontournable. Vitality l’a montré, et Gentle Mates comme Karmine Corp, les deux autres mastodontes de l’esport français, en sont conscients. Pour passer au niveau supérieur, il leur faudra un jour franchir le pas vers ce qui est sans doute le plus bel esport du monde.

Gentle Mates, un big bang pour CS en France
C’est ce qu’a fait Gentle Mates. Laissez-moi vous les présenter : une organisation créée par trois figures incontournables de l’esport et de l’influence en France, Squeezie, Gotaga et Brawks.
Squeezie, c’est tout simplement le plus gros créateur de contenu français, avec près de 20 millions d’abonnés sur YouTube. Véritable phénomène culturel, il touche bien au-delà du gaming, fédérant des millions de jeunes autour de ses vidéos, concepts et événements. Quand Squeezie s’implique dans un projet, il ne parle pas seulement aux fans d’esport : il emmène avec lui une partie du grand public.
Gotaga, surnommé The French Monster, est l’un des pionniers de l’esport en France. Ancien joueur pro sur Call of Duty, il a marqué toute une génération avant de devenir l’un des streamers les plus suivis du pays.
Brawks, ancien coéquipier de Gotaga, est devenu un visage familier du streaming et un pilier de Gentle Mates. Moins exposé, il incarne la stabilité et l’expérience compétitive du trio. Avec Gotaga, leurs trajectoires font d’eux un pont unique entre la compétition pure et l’influence moderne.
Leur arrivée sur Counter-Strike est un séisme. Jusqu’ici, en dehors de Vitality, aucune organisation française n’avait l’aura, la notoriété ou les moyens de peser sur ce jeu. Grâce à leur puissance médiatique, Gentle Mates peut amener CS à des millions de spectateurs qui, jusque-là, n’avaient jamais vraiment suivi la scène.

Iberian Soul, un pari mais pas une finalité
Pas de roster français pour se lancer. Même si 3DMAX a été évoqué, Gentle Mates a finalement choisi un projet plus modeste et accessible : Iberian Soul.
À l’image de Movistar Riders il y a trois ans, qui avait marqué les esprits avec son parcours aux IEM Cologne 2022 après avoir joué le Major de Stockholm en 2021, Iberian Soul incarne la persévérance et aligne des performances solides. De quoi se faire une place sur le circuit européen et surprendre ponctuellement. Mais comme souvent pour ces collectifs vieillissants (26 ans de moyenne), la barrière du très haut niveau international paraît difficile à franchir. Une équipe attachante qui fait vibrer, mais qui ne bousculera sans doute jamais l’ordre mondial.
Leur projet est un véritable pari : s’appuyer sur une remontada au classement VRS et sur un collectif qui se connaît bien pour se frayer un chemin vers les grands rendez-vous, et surtout le plus grand, le Major. Si cela semble compliqué à quelques jours de la fin du classement, ce choix reste peu coûteux pour une organisation qui vise le sommet à terme. Pour y parvenir, Gentle Mates devra sans doute passer par l’international, ou miser sur de jeunes talents sud-américains. Le premier défi sera surtout de s’adapter à CS et à sa scène si particulière.
Vivre à travers des organisations
Vitality est arrivé sur CS en 2018 avec des joueurs bien connus de la scène comme apEX, NBK, RpK, shox, Happy, et la pépite ZywOo. Elle a récupéré l’amour des supporters français au fil du temps, tandis que les autres rosters hexagonaux disparaissaient. Leur passage à l’international a fait grincer des dents (moi le premier), mais le charisme d’apEX, le talent de ZywOo et le plaisir de voir des compatriotes gagner n’ont fait que renforcer leur statut de porte-étendard.
Dans un monde où Vitality réussit à faire aimer des joueurs danois, israéliens, estoniens ou anglais, et à fédérer des supporters sur des jeux sans le moindre Français, les choses ont évolué. Le faible nombre de joueurs nationaux au sommet oblige les fans à se rattacher non pas à des individus, mais à des organisations. Vitality a porté ce rôle seule pendant des années, gagnant deux Majors au passage. Aujourd’hui, Gentle Mates peut devenir une nouvelle bannière pour la communauté, et offrir une façon différente de vibrer. Car cette fois, l’attachement passe aussi, et peut-être surtout, par leurs propriétaires, qui ne sont pas de simples dirigeants, mais des créateurs de contenu suivis par des millions de fans.
L’espoir d’un nouvel élan
L’arrivée de Gentle Mates ne doit pas être vue seulement comme un coup médiatique. Elle peut devenir un véritable moteur. D’abord en donnant envie à d’autres organisations françaises de franchir le pas, à commencer par la Karmine Corp, dont l’aura pourrait transformer encore davantage la scène. Mais aussi en attirant de nouveaux joueurs et talents, qu’ils soient jeunes ou anciens, désireux de s’essayer à un jeu plus exigeant, plus compétitif, plus relevé qu’un titre plus accessible comme VALORANT.
Vitality reste le porte-étendard du Counter-Strike français. Gentle Mates, de son côté, arrive avec sa puissance médiatique et son ambition. Ils ne sont pas amis, ils ne se ressemblent pas, mais pour nous, fans français de CS, ils sont deux visages d’un même espoir. Car notre jeu a trop longtemps été boudé. Il mérite mieux en France depuis toujours. Et aujourd’hui, avec Vitality et Gentle Mates côte à côte, en en attendant d’autres, peut-être est-il enfin en train d’obtenir la place qu’il mérite.